L’assureur : cet ami ignoré

04/04/2020

« C’est dans l’adversité que se révèlent les vrais amis », Cicéron

Vous avez dû, comme moi ces derniers temps, lire sur certains posts ou entendre, des mises en cause plus ou moins directes, plus ou moins virulentes, à l’encontre des « assureurs ».
La crise actuelle et ses conséquences économiques et sociales exacerbent en effet non seulement les inquiétudes (ce qui semble bien compréhensible), mais aussi le besoin d’une recherche de « responsabilités » sinon dans les causes du COVID, au moins dans le traitement économique de ses effets. Les points de vue à l’emporte-pièce et les plus démagogiques ayant pour « magie » d’être parfois les plus relayés, on a pu ainsi entendre, dans la droite lignée du « assureurs = voleurs », moultes injonctions envers les assureurs, sensés « mettre la main à la poche », « prendre en charge les pertes d’exploitation », « participer prioritairement à l’effort de la nation » etc… etc… la liste est longue !

Pour rabâcher ce que vous connaissez tous depuis longtemps : le mécanisme fondamental de l’Assurance est de gérer l’aléa en opérant une mutualisation entre les risques et les assurés, au travers d’une formulation idoine des garanties souscrites. Ce mécanisme très ancien n‘est malheureusement pas forcément compris par le grand public comme l‘une des plus évidentes formes d’économie du partage, mais comme une source d’activité lucrative intégrée au « monde de la finance ». Si la compréhension du cycle économique inversé de notre secteur n’est certes pas si évidente auprès du grand public, elle semble encore moins bien assimilée par certains représentants de la classe politique. Nous constatons souvent leur incompréhension du fonctionnement, voire du rôle de notre secteur, par exemple lors des débats qui ont précédé ou suivi certaines réformes, mais la crise actuelle le révèle davantage encore.

Cette crise stigmatise une fracture entre deux mondes

Celui dans lequel on pilote l’aléa et la mutualisation au travers de règles actuarielles, statistiques et juridiques pour le plus grand bien de tous (l’assuré est protégé des « coups du sort » et de son côté l’assureur reste solvable) ; et celui dans lequel on les considère comme des simples concepts.

En temps normal, un assureur a opéré ses règles de mutualisation qui conduisent à générer un équilibre entre ses primes encaissées et sa charge de sinistres probable (c’est la fameuse règle d’or de l’assurance : valeur actuelle probable des engagements de l’assureur égale valeur actuelle probable des engagements de l’assuré). Il n’a pas intégré dans ses calculs de mutualisation des risques non souscrits, non inventés, non sollicités par ses adhérents.

La problématique de la perte d’exploitation sans dommage est l’exemple flagrant de l’incompréhension des notions même de mutualisation et d’assurance par certains politiques. Le fait que ces derniers invectivent en premier lieu les opérateurs professionnels de l’aléa, et non pas d’autres acteurs économiques, est justement la preuve qu’ils ne maîtrisent pas ce concept.

En cas de crise, l’aléa disparaît, et avec lui la mutualisation. Gérer une crise mondiale ou sanitaire n’est pas un travail d’assureur, c’est le rôle des états et des pouvoirs publics.

Les pourfendeurs de nos métiers se sentent à nouveau inspirés par cette légende urbaine qui voudrait nous faire croire qu’on peut mutualiser à l’infini, même en changeant les règles du jeu, ou qu’il existe des sédimentations gigantesques de profits chez les assureurs.

S’il fallait identifier les secteurs économiques qui disposent de profits plus importants en temps normal, pour les mutualiser avec les pertes des temps de crise, il est probable que le secteur de l’assurance serait l’un des derniers à être ciblé. Il est par exemple à noter que les GAFAM ne se sont pas engouffrés sur les chemins de la mutualisation assurancielle, sans doute par peur de rendements trop faibles au regard de règles prudentielles trop fortes.

Je constate aussi que les plus vifs pourfendeurs de l’assurance, de l’organisation du secteur ou des modalités de couverture des risques sont souvent les premiers à appeler de leurs vœux des systèmes collectifs, voire étatiques, de protection et de mutualisation. Et souvent ces mêmes qui appellent à davantage de mutualisation mais à moins d’assurance, choisissent pour leurs propres couvertures les contrats les moins chers, dont le risque est le moins mutualisé, pour éviter de payer pour les risques des autres…

Si j’osais, l’actuaire qui sommeille en moi encouragerait même volontiers ces détracteurs à travailler sur des scenarii de type ORSA pour anticiper les prochaines crises et quantifier de manière fine les investissements à mener dans le temps long pour palier une situation soudaine de sinistre : c’est le pain quotidien de notre formidable métier d’assureur.
(Je recommande d’ailleurs toujours sur le sujet la lecture de l’excellent article « Correlation crisis in Insurance and finance, and the need for dynamic risk map in ORSA » de mes confrères actuaires S. Loisel, P. Arnal, R. Durand. Article publié il y a déjà 10 ans, mais qui est toujours d’actualité).

La grande mission de notre fédération (FFA) pour l’amélioration globale de l’image de l’assurance auprès du public est donc plus que jamais nécessaire et sera prépondérante pour la sortie de crise de notre secteur. Les actuaires ont dès à présent un rôle majeur à jouer à ses côtés pour rendre plus pédagogiques les messages techniques, plus lisibles les principes de mutualisation, et relayer le rôle de la science actuarielle au sein du monde scientifique.

Addactis tente de contribuer depuis plusieurs années à ce grand chantier pédagogique, grâce notamment à son implication dans la chaire de recherche PARI dédiée à la compréhension de l’émergence, de l’évolution et des impacts de nos outils de gestion des risques et des produits d’assurance. Je vous invite d’ailleurs à suivre la sortie prochaine d’un article fort intéressant sur le sujet sur leur site internet.

A l’heure où seule la solidarité et le sens collectif peuvent nous sauver des conséquences d’une guerre sanitaire et économique, il convient de rappeler ces quelques évidences souvent oubliées à propos du secteur de l’assurance. La crise actuelle représente en effet une formidable opportunité pour notre industrie de démontrer son utilité et sa mission de « protection » de nos sociétés, tant par son rôle d’investisseur que de protecteur de la croissance économique et de celle des individus ou des entreprises.

Imaginer pourtant un seul instant un monde sans assurance devrait suffire à convaincre le pire des détracteurs ! J’invite d’ailleurs celui-là à regarder la situation des populations d’un certain nombre de pays où les biens, la santé et les activités humaines sont insuffisamment couvertes par un système assurantiel et à se rappeler que développement de l’assurance et développement économique sont totalement corrélés. Car l’assureur apporte une sécurité et la sérénité d’une meilleure couverture du risque qui permet d’envisager l’avenir et d’investir, que ce soit à titre individuel, familial, d’entrepreneur ou de dirigeant. Il répond aussi à un besoin de couverture de l’ensemble des populations de moins en moins appétentes aux risques. Dans une majorité de pays « confinés », les pouvoirs publics ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en prenant dès le début de la crise, des mesures d’arrêt des activités non essentielles qui excluent explicitement le secteur de l’assurance, considéré a contrario comme… essentiel !

« Le monde aujourd’hui est en guerre ! » Guerre sanitaire contre le COVID 19, guerre économique contre ses effets. Et le monde de l’assurance est en guerre pour continuer de jouer son rôle de mutualisation entre et auprès de ses assurés, avec une règle du jeu séculaire et équitable, car ces mêmes assurés ont librement choisi le niveau de couverture dont ils souhaitent bénéficier. Chaque assuré sait qu’il peut compter sur son assureur, soumis à une réglementation et un contrôle parmi les plus exigeants au monde pour garantir le paiement des sinistres en cas de réalisation du risque. Rappelons aussi que les premiers niveaux d’assurance dans les différents pays relèvent des pouvoirs publics et des systèmes de sécurité sociale, de réassurance d’état de couvertures obligatoires et que de nombreux acteurs de l’assurance et de la réassurance appartiennent directement ou indirectement aux états. L’assurance ne vient que compléter ces couvertures de base, quand elles sont inexistantes, incomplètes ou insuffisantes par rapport aux besoins.

Pour toutes ces raisons, nous sommes fiers de travailler pour l’assurance et les assureurs. Nous sommes fiers de trouver des solutions techniques et actuarielles pour leur permettre un plein exercice de leurs missions de mutualisation et de prévention des risques. Depuis le début de cette crise, les 250 collaborateurs d’addactis® de par le monde sont mobilisés et se serrent les coudes pour continuer, plus que jamais, d’être aux côtés des assureurs et leur apporter toute l’aide et le soutien technologique dans leurs tâches quotidiennes : évaluer, calculer, tarifer, gérer, provisionner… les risques en définissant les modèles actuariels dont nous avons et aurons besoin.

Un tout petit virus est venu mettre à mal certaines de nos certitudes (et en premier lieu, celle d’être à l’abri du risque d’une pandémie mondiale qui confine en quelques semaines plusieurs milliards d’êtres humains chez eux). Nous en sommes tous un peu sidérés par la vitesse des évolutions. J’appelle de mes vœux que cette crise nous ramène à des valeurs fondamentales, et redonne à l’assurance une image en adéquation avec son utilité humaine, sociale et économique.

Nous constaterons alors, en paraphrasant et transposant la citation initiale de Cicéron, que « c’est dans l’adversité que vos assureurs se révèlent de vrais amis ».

Un article écrit par :

Pascal MIGNERY

Chairman of the board & CEO at ADDACTIS GROUP